Facsimilé d'une lettre envoyée par Mahomet à Munzir bin Sawa al Tamimi, gouverneur de Bahreïn, imposant le paiement de la zizya aux Juifs et Majusi, VII° s.

Un dhimmi (en arabe : ذمّي) est un terme historique du droit musulman qui désigne les sujets non-musulmans d'un État sous gouvernance musulmane, liés à celui-ci par un « pacte de protection » discriminatoire.

Le statut de dhimmi a codifié pendant des siècles la place des personnes de religion monothéiste principalement les minorités juives et les populations chrétiennes à l'origine majoritaires dans les pays soumis aux autorités musulmanes (Syrie, Mésopotamie, Égypte, Grèce, Bulgarie, provinces romaines d'Afrique, Espagne...). À la différence des polythéistes, qui selon le Coran, devaient être convertis, les « gens du Livre » (ar. اهل الكتاب, Ahl al-kitâb ) juifs et chrétiens, dépositaires d'une partie de la Vérité révélée, avaient le droit de conserver et pratiquer leur foi à condition de respecter un certain nombre d'obligations et de se soumettre à d'autres.

La tradition attribue la paternité de ce statut au calife Umar, successeur du prophète Mahomet (au VIIe siècle), d'où son autre nom de Pacte d'Umar. Pour l'essentiel ce statut stipulait que les dhimmi se verraient garantir par le sultan la protection de leur vie et de leurs biens ; en retour ils devaient reconnaître la suprématie de l'islam et payer un impôt appelé jizya . La communauté des dhimmis est désignée en arabe par le mot Ahl adh-dhimma

L'ensemble de règles ou le régime juridique auquel étaient soumis les dhimmis (la dhimma) était appliqué avec plus ou moins de négligence ou de sévérité selon les périodes et les pays. La distance était parfois considérable entre le discours rigoriste des théologiens, et l'attitude des juristes, plus laxistes et pragmatiques, qui l'ont souvent emporté dans la réalité. Des juifs et des chrétiens furent ainsi nommés vizirs (premiers ministres), et gouvernèrent les musulmans, malgré leur statut de dhimmis.

Le statut de dhimmi fut aboli en 1855 dans tous les pays gouvernés par l'Empire ottoman.

Histoire du statut de dhimmi

La situation des dhimmis en terre d'islam est souvent l'objet de stéréotypes de création relativement récente et occidentale, qui s'opposent dans des excès contradictoires : à l'image utopique d'un islam tolérant pratiquant l'égalité des droits dans une relative concorde religieuse s'oppose la caricature d'un islam intolérant, bigot et tyrannique, dans une conceptualisation anachronique appliquée à « une société pré-moderne dont les cadres ne pouvaient être définis en dehors de la référence religieuse ».

La réalité est bien plus complexe, à mi-chemin entre ces positions simplistes, des aspects négatifs coexistants avec des aspects positifs. Si le statut de dhimmi est obligatoirement inférieur à celui du groupe religieux dominant que constitue celui des Musulmans, à la fois marqué de restrictions sociales et fiscales parfois lourdes ou dégradantes, il n'en est pas moins un statut légal de citoyenneté reconnu : les relations sont régies dans un cadre « contractuel », partie des lois sacrées de l'islam que les croyants musulmans se doivent de respecter et défendre.

Vocabulaire

La dhimma (arabe : ḏimma, ذمة, « engagement », « pacte », « obligation ») désigne le régime juridique auquel sont soumis les dhimmis (en arabe : ذمّي, habituellement traduit en français par « pactisants », « alliés », « protégés » ou « tributaires ») déterminant leurs droits et devoirs. L'expression Ahl adh-dhimma (arabe : ahl aḏ-ḏimma أهل الذمّة, « les gens de la dhimma ») désigne la communauté des dhimmis. Le terme appartient au vocabulaire technique du droit musulman et désigne habituellement, en pays d'islam, le régime juridique auquel est soumis un non-musulman (dhimmi), renvoyant à la notion d'obligation d'un débiteur à son créancier ainsi qu'à celle de capacité de jouissance.

Le mot apparait dans une seule sourate, « La repentance » (at-tawbah), du Coran, en son vingt-neuvième verset, qui vilipende les « polythéistes » qui n'honorent pas les liens familiaux ni les « engagements » pris (la dhimma).

Répartition géographique par millets majoritaires dans l'Empire ottoman (en blanc, ils sont mélangés), bien que les millets ne soient pas territoriaux.

Le mot est repris dans différents hadiths qui appuient cette notion de lien « contractuel » impliquant protection et obligation. L'expression « ahl adh-dhimma » (« les gens de la dhimma »), désigne les communautés ou individus non-musulmans auxquels, pour peu qu'ils respectent la domination musulmane et une série d'obligations, la loi musulmane accorde le bénéfice d'une forme de convention indéfiniment reconduite.

Dans le monde ottoman, toutes les communautés religieuses sont appelées et organisées en « millets » ; celle des musulmans a évidemment la prééminence sur toutes les autres. Le mot « millet » vient de l'arabe millah (ملة) et signifie « nation ». Chaque sujet turc est tenu d'appartenir à un millet en fonction de sa religion.

Origines

Le statut des non-musulmans monothéistes trouve son fondement d'une part dans le comportement de Mahomet tel que rapporté par la tradition et, d'autre part, dans les conditions de la conquête musulmane.

Dans les dernières années de sa vie, après avoir conquis l'Arabie, Mahomet a conclu des accords de soumission avec les « gens du Livre » — les monothéistes juifs de Khaybar et chrétiens de Najran — qui, distingués des polythéistes, ne doivent plus être combattus s'ils se soumettent en payant un tribut. C'est ce que relate le Coran :

« Combattez [...] également ceux parmi les gens du Livre qui ne professent pas la religion de la vérité, à moins qu'ils ne versent la capitation directement et en toute humilité. »

L'islamologue Denise Masson propose cette autre traduction : Combattez (...) ceux qui, parmi les gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie Religion. Combattez-les jusqu'à ce qu'ils payent directement le tribut après s'être humiliés.

Dérapage d'interprétation

Le juriste et théologien Mohamed Tahar ben Achour s'est évertué à définir ceux que le verset désigne. Il relève que ses prédécesseurs ont hésité avant d'y voir les Juifs et les chrétiens, et rappelle que ces non-musulmans croient au Jugement dernier. Comme son confrère Mugahid, ben Achour considère que le verset ne concernerait que les chrétiens de Syrie, les tribus arabes chrétiennes et des idolâtres dans le cadre de la campagne de Tabûk. Ce verset préparerait donc les musulmans à combattre les Rüms (Byzantins), les Perses et ces quelques tribus arabes qui s'islamiseront tardivement. Cette approche montre le poids que d'aucuns appellent un « faux départ du Ta'wil» (sciences coraniques) qui persévèrera tout au long des siècles suivants avec des conséquences directes sur les non-musulmans et particulièrement les Juifs qui ne seraient a priori pas concernés par le verset de « La repentance ».

Dans le cadre des conquêtes

La conquête rapide entreprise après la mort de Mahomet a placé de vastes territoires — de l'Atlantique ouest aux confins de la Chine — et de nombreuses populations autochtones sous l'autorité musulmane. Mais les conquérants s'y retrouvent souvent minoritaires et doivent faire preuve de souplesse et de créativité législative, se gardant apparemment d'imposer des conversions forcées — ce qu'interdit le Coran — tout en assurant leur autorité et en l'inscrivant dans la loi : c'est à ce moment qu'apparaissent les premières restrictions qui semblent être d'origine militaire, afin de sécuriser les groupes de musulmans qui occupent et gouvernent ces régions. Progressivement incorporés dans les textes sacrés, ces usages, de sécuritaires qu'ils sont initialement, vont petit à petit devenir des interdits sociaux et légaux.

Au fil des époques et des conquêtes, le statut de dhimmi s'étendra parfois aux sujets samaritains, sabéens, zoroastriens mais aussi hindous sous l'autorité musulmane. Il ne sera jamais étendu aux manichéens.

L'application de ces lois sera aléatoire suivant les lieux et les périodes, en fonction des crises ou des périodes plus calmes qui traverseront l'aire à domination musulmane.

Le statut inférieur des non-musulmans restera codifié dans le Coran/Kuran, section 09:29 :

« Combattez les non-croyants en Allah... jusqu’à ce qu'ils vous payent le tribut/impôt de jizya et se sentent petits (humiliés) devans vous. »

Le pacte d'Umar aux premiers temps de l'islam

Article détaillé : Pacte d'Umar.

Le pacte dit « d'Umar » est devenu la référence en termes de définition normative des clauses de la dhimma.

Mahomet et les trois premiers califes : Abou Bakr, Omar et Othman, sur le cheval mythique Buraq, miniature du XVI° s.

La tradition musulmane attribue au pacte d'Umar - du nom du calife Omar ibn al-Khattâb (634-644), un des plus proches compagnons de Mahomet - la définition des clauses de la dhimma dont les obligations sont précisément codifiées dans la jurisprudence musulmane ( fiqh ). Il s'agit d'une lettre adressée au calife par des chrétiens de Syrie, conditionnant leur soumission et proposant les sanctions auxquelles ils s'exposent en cas de non-respect de l'accord.

La plus ancienne version conservée de ce pacte ne date que du XIIe siècle. La réalité de l'authenticité d'un « pacte d'Umar » original en tant que tel reste ainsi douteuse. Comme pour beaucoup d'autres aspects de l'histoire administrative musulmane précoce, il doit être apparu plus tardivement, plus vraisemblablement à partir du règne du calife omeyyade Umar II (717-720) auquel la tradition pieuse a préféré son prédécesseur moins controversé.

À cette époque, la fiscalité des non-musulmans est essentielle pour assurer le fonctionnement de l'État et de l'armée. De ce fait, les non-musulmans lourdement taxés quittent les campagnes pour tenter de devenir mawla , clients convertis avec une situation fiscale plus favorable : du mécontentement de ces populations est notamment née la nécessité de légiférer.

Des éléments relatifs à l'impôt foncier apparaissent déjà vers la fin du VIIIe siècle dans le Kitâb al Kharâj (Le Livre de l'impôt foncier) du juriste Abou Yoûsouf. Mais la fixation à proprement parler de cet ensemble juridique semble remonter au IXe siècle à l'époque du calife Jafar al-Mutawakkil (847-861), lors d'une période d'application stricte de la discrimination envers les non-musulmans, après plus d'un siècle de débats entre juristes d'opinions divergentes, des plus libérales aux plus restrictives. À savoir que contrairement à ce qu'affirme Tabari, le Kharaj fut probablement institué bien plus tard qu'il ne le rapporte ; en 760 date à laquelle ce mot apparaît pour la première fois sur les papyrus arabes.

Avec le « Pacte d'Umar », il apparait clairement que les dhimmis convertis à l'islam sont totalement dispensés de l'imposition par capitation et rejoignent le régime d'imposition par zakat, la dime de leur coreligionnaires.

Abolition du statut de dhimmi

"De 1839 à 1856, l'Empire ottoman abroge le statut de dhimmi. En 1856, l'impôt spécial (djeziya) est aboli" dans les nombreux pays gouvernés par les Ottomans comme la Turquie, l'Irak, le Yémen, la Syrie, le Liban, la Tunisie etc.

En Égypte, Méhémet Ali, vice-roi de 1804 à 1849, avait pris ses distances avec l'Empire ottoman et fondé sa propre dynastie ; il abolit le statut de dhimmi un peu plus tôt que cela ne fut le cas dans le reste de l'Empire. L'impôt spécial, "la jizya fut supprimée par le khédive Sa’îd en 1855, ouvrant la voie à partir de 1856 à un recrutement plus général des coptes dans l'armée", ces chrétiens égyptiens ayant commencé à servir comme soldats sous Méhémet Ali (en tant que dhimmi, ils n'avaient pas le droit de porter des armes).

Au Maroc, qui n'est pas sous contrôle ottoman, le statut de dhimmi est officiellement aboli en 1912 par la France dans le cadre du Protectorat qui dans cette veine, limitera aussi l'esclavage (qui sera totalement aboli par les Français en 1922, même s'il perdure dans les faits).

Le statut de dhimmi subsiste encore dans quelques pays comme l'Iran, où vivent toujours, en 2006, plus de 9 000 juifs, et 400 chrétiens.

De nombreux musulmans rejettent le système de dhimma, et le considèrent comme étant inapproprié à l'âge des États-nations et des démocraties.

Droits et devoirs des dhimmis

Les interdictions

Une première série de six interdictions "vise à protéger la religion musulmane du prosélytisme et de la raillerie. Les interdits sont les suivants : se moquer du Coran ou le falsifier ; parler en termes insultants du prophète Mahomet ou de l'islam ; avoir des relations sexuelles avec une musulmane ; tenter de détourner un musulman de sa foi ; porter assistance à des non-musulmans en guerre contre les fidèles ; et porter des armes". Enfreindre ces six règles pouvait valoir la mort ou la saisie des biens.

Une deuxième série de six interdictions ou obligations revêt une importance moindre ; le non-respect de ces règles n'expose qu'à des amendes ou des sanctions mineures. Elles imposent de "payer l'impôt de soumission, porter un vêtement distinctif, construire des lieux de culte ou d'habitations qui ne dépassent pas en hauteur ceux des voisins musulmans, ne pas se livrer publiquement à l'exercice de sa religion ou à la consommation d'alcool, enterrer ses morts sans faire entendre lamentations et prières, ne pas posséder ou monter des montures nobles comme le cheval" mais seulement des ânes et consécutivement, de les monter comme une femme, en amazone.

Il est entendu par « impôt de soumission » une taxe de capitation (par tête), la jizya, et une taxe foncière, le kharâj

Nombre de ces interdictions ont été extrapolées selon les lieux et les sultans.

Variations historiques

Le Coran indique qu'un musulman ne peut être l'allié d'un juif ou d'un chrétien. Mais dès les débuts de l'islam, il existe de nombreuses traces de telles amitiés et les échanges —- notamment entre érudits —- se prolongent jusqu'à la fin du Moyen Âge quand alors apparaissent les premières tendances à une ségrégation plus marquée.

Les dhimmis sont en principe exclus de l'armée car ils ne peuvent porter d'arme, et de l'administration, mais on trouve au cours de l'histoire de très nombreux exemples de Chrétiens ou de Juifs occupant des postes de fonctionnaires, parfois à des niveaux élevés, mais ils restaient l'exception. Aux dhimmis, il leur est interdit de communiquer des secrets liés à la sécurité, comme la localisation des zones des territoires musulmans mal défendues, guider ou donner asile aux agents ennemis. Mais les commentateurs divergent sur le sort à réserver au dhimmi coupable d'intelligence avec l'ennemi, certains considérant qu'il y a rupture du pacte et d'autres non.

On retrouve certaines dispositions du statut de dhimmi dans le système législatif de l'empire byzantin (chrétien) qui codifiait les relations entre les chrétiens et les sujets juifs de l'empire, et dont la transgression était punie avec la même sévérité. Ainsi, le fait pour un dhimmi de ne pas pouvoir hériter d'un musulman, ou l'inverse ; l'autorisation pour un musulman d'épouser une dhimmie, alors qu'il est interdit à un dhimmi d'épouser une musulmane. De la même manière, un dhimmi ne peut posséder un esclave musulman tandis que l'inverse est permis.

Document imposant la jiizya pour les villageois de Chokmanovo à Smolyan (Bulgarie), 1615.

En contrepartie des droits octroyés, les dhimmis doivent avant tout reconnaître la souveraineté politique du pouvoir musulman et s’acquitter d'un impôt particulier de capitation — hérité à la fois de la Perse et de l'Empire byzantin — appelé jizya , dû par les adultes mâles et qui est normalement perçu en numéraire, ainsi que d'un impôt foncier appelé kharâj qui, dans les premiers temps, était supprimé en cas de conversion. Toutefois, devant la multiplication des conversions, occasionnant un déficit d'imposition, cet impôt lié à la terre, le kharâj, sera dissocié, sous Umar II, de la confession du propriétaire.

Si certains califes prônent une relative modération notamment dans la perception des taxes, il a été estimé qu'au VIIIe siècle, un tributaire non musulman payait environ trois fois et demi ce que devait un musulman à l'État [Où ?]  ; ce qui n'aurait pas été plus élevé que sous la domination romaine. On ne peut donner une vue d'ensemble sur de telles étendues durant de telles périodes, et les historiens sont partagés sur le poids de la jizya. Certaines traces documentaires, comme le Guenizah du Caire, laissent supposer pour le XIe siècle, dans cette région, que la charge était pesante pour les classes les plus pauvres.

L'application des dispositions contraignantes de la dhimma a régulièrement été sévèrement observée dans des périodes de crise propices à l'influence de religieux rigoristes, par exemple et notoirement à la fin du Moyen Âge dans les espaces seldjoukide, almoravide et almohade : il s'agit alors de raidissements temporaires, souvent motivés par la recherche de légitimité de dirigeants fraîchement convertis qui affichent un zèle particulier dans l'application des prescriptions musulmanes. Ainsi, à l'instar des seljoukides qui en 1058 et 1085 imposent par décrets des signes distinctifs aux dhimmis, interdisent les expressions publiques de leurs cultes, ferment les tavernes vendant de l'alcool. la domination des Mamelouks - du XIIIe siècle au XVIe siècle - multiplie également les humiliations qui poussent notamment les juifs à quitter massivement les régions sous leur contrôle.

Néanmoins, la nécessité de rétablir ou durcir les interdictions en ces périodes montre en creux qu'elles n'étaient pas appliquées de manière constante. Il semble toutefois que ces lois dégradantes attachées à la condition de dhimmi, combinées au poids de l'impôt discriminatoire, ont probablement poussé de nombreux non-musulmans à se convertir à l'islam même si les historiens n'ont pas de moyens fiables de mesurer l'ampleur de ces mouvements.

Les obligations des dhimmis sont réglementées dans les traités de droit musulman ou fiqh .

Statut juridique

Les juristes distinguent deux catégories de non-musulmans, les kafir (les incroyants et les polythéistes) et les Ahl al-kitâb (« gens du Livre »). Cette expression ne désignait à l'origine que les juifs, les chrétiens et les sabéens, en tant que fils d'Abraham et monothéistes, mais s'étend progressivement à d'autres croyances monothéistes telles que les adeptes du zoroastrisme et de l'hindouisme. C'est donc aux « gens du Livre » que s'applique la dhimma , le régime juridique auquel est soumis le non-musulman en terre d'islam. Il porte le nom de dhimmi que l'on peut traduire par « hôte protégé » ou « pactisant ».

Pour autant, la dijzia est dans la pratique exigée à tout non-Musulman, qu'il appartienne ou pas aux « gens du Livre », tous les membres des millets (communautés religieuses) non-musulmans de l'Empire ottoman par exemple, en sont tributaires.

Les conceptions des champs d'application de la dhimma varient beaucoup selon les écoles juridiques et selon les époques.

Les différentes écoles musulmanes

Si les différentes écoles juridiques musulmanes s'accordent sur le fait que l'octroi de la dhimma aux non-musulmans sur les territoires conquis est l'apanage de l'autorité musulmane suprême, elles se distinguent sensiblement lorsqu'il s'agit d'identifier précisément les populations éligibles à ce statut :

  • Les Hanbalites, Chaféites, Ibadites, Chiites imamites, et les Dhahirites considèrent que seul les Zorastriens, les Juifs et les Chrétiens peuvent bénéficier de la dhimma, à l'exclusion de toute autre confession.
  • Les Hanéfites et Zaidites considèrent que le statut de dhimmi doit être appliqué à tous les non-musulmans à l'exclusion des idolâtres arabes.
  • Les Malékites considèrent que le statut de dhimmi doit être attribué à tous les non-musulmans sans exclusion, une vision qui semble plus près du verset coranique de référence (sourate 9,29) dont la formulation semble viser et englober l'entièreté des non-musulmans.
  • L'ayatollah Khomeini en Iran indique dans son ouvrage en 1970 que les non-Musulmans doivent payer l'impôt de capitation pour pouvoir bénéficier de la protection et des services de l'Etat iranien mais seraient exclus de toute participation au processus politique du pays ou à l'exercice judiciaire.

Cependant, dans la pratique, la dhimma a inclus tous les non-musulmans. L'application du « Pacte d'Umar » et l'interprétation de la dhimma ont largement varié dans les sociétés sous domination musulmane, selon les lieux et les époques. On observe par exemple vis-à-vis des dhimmis une plus grande sévérité chez les chiites qui — probablement influencés par le zoroastrisme — sont particulièrement attentifs aux rituels de purification et considèrent les dhimmis comme impurs : il existait encore dans l'Iran du XIXe siècle des prescriptions strictes pour éviter les contacts avec ces derniers et ce qu'ils ont porté ou touché.

Tribunaux

Les communautés dhimmis jouissent d'une autonomie totale dans la gestion de leurs affaires dans les domaines familiaux, personnels ou religieux, bénéficiant de leurs propres juges qui appliquent les lois spécifiques de la communauté. Selon Muhammad Hamidullah, qui cite le Coran (« Que les gens de l'évangile jugent d'après ce que Dieu y a fait descendre »), l'Islam a décentralisé et communautarisé la loi et la justice.

Dans les tribunaux islamiques, les preuves de dhimmis ne sont pas admissibles et pour la plupart des écoles juridiques, à l'exception des hanafites, les réparations pour blessures ou meurtre sont de moindre importance pour un dhimmi que pour un musulman. Les juristes musulmans se sont beaucoup penché sur le sort à réserver aux dhimmis qui se montrent injurieux (sabb) envers l'islam, ce qui est là encore puni avec sévérité : chez les chiites et, parmi les sunnites, au sein des écoles malékites et hanbalites, c'est la peine de mort qui est préconisée

Au XIe siècle, l'école chaféiste, d'Al-Mawardi définit la condition du dhimmi, pour les charias qui suivent cette école : « Un dhimmi fait l'objet d'un statut particulier tout en se prévalant des mêmes droits régaliens qu'un musulman. Il n'est pas soumis aux tribunaux de droit commun mais la charia islamique leur permet d'avoir leurs propres tribunaux en fonction de leur culte. Néanmoins il n'est pas permis à un dhimmi de se porter témoin dans un différend concernant un musulman, ce qui ne lui permet pas de se défendre en cas de crime, vol, saccage, viol commis par un musulman ».

Signes distinctifs

Impureté

Au croisement du Coran et du pacte d'Umar - et faisant écho aux lois espagnoles de limpieza de sangre -, se trouvent une série d'obligations et d'interdits du fiqh, qui enrichissent ce dernier tout en s'inspirant de la quatrième sourate ou de la neuvième (« Les païens sont une souillure », 9:28), et de la charia. Ainsi, dans l'islam chiite des Saffavides, les codes de l'impureté du texte saint s'extrapolent sur le dhimmi à partir de 1501 et ce jusqu'au XIXe siècle, à qui il n'est pas autorisé de sortir par temps de neige ou de pluie, de crainte qu'il ne souille ces éléments et que ces éléments ne souillent à leur tour un musulman. En outre, le dhimmi ne peut pénétrer dans une boulangerie ou acheter des fruits frais afin de ne pas contaminer le lieu ou les aliments.

Dans le monde de l'islam (comme en Europe mais là, pour d'autres motifs secondaires), cette impureté intrinsèque frappant le dhimmi pousse notamment des sultans du Maroc à reléguer les dhimmis dans des quartiers en ville basse, séparés voire fermés (le mellah), à partir du XVe siècle. Par extension de ces marques de discrimination, les régences d'Alger portent même sur le mode d'exécution d'un condamné à mort : le musulman est décapité quand le dhimmi juif est brûlé vif.

Vêtements

À la suite de la conquête musulmane, les juifs adoptent le style vestimentaire des conquérants dont ils ne sont dès lors pas particulièrement distinguables. Mais il existe bientôt des dispositions — suivant le Pacte d'Umar — permettant la « différenciation » (ghiyar ou shakla au Maghreb) des dhimmis, en imposant aux chrétiens le port d'une ceinture, le zunnar , ou des signes distinctifs à arborer sur leur couvre-chef ou leur monture. Selon Tritton, la pratique des zunnar était « l'exception et non la règle ».

En 850, le calife Jafar al-Mutawakkil impose également le zunnar aux Juifs, accompagné du port du taylasin, un châle servant à couvrir la tête. Au Maroc, la dynastie des Almohades impose aux Juifs le port d'un manteau bleu et large... Un calife de Bagdad au XIe siècle impose aux juifs un insigne jaune qui se répandra plus tard en Occident.

Ibn Tâlib (mort en 888), cadi de Kairouan qui oblige déjà ses habitants non-musulmans à porter une tenue distinctive sous peine de coups, de promenade ignominieuse dans les quartiers juifs et chrétiens et de prison, oublie l'interdit de la représentation et impose le port sur ces dits vêtements d'une image d'un porc pour les chrétiens et de celle d'un singe pour les Juifs.

Au XIIe siècle, al-Mâzarî (mort e, 1141) rappelle aux Juifs l'obligation du port d'un turban à bout teinté.

Objets

Au début du XIe siècle, le calife fatimide Al-Hakim bi-Amr Allah, connu pour son fanatisme, exige que les chrétiens portent une grande croix en fer en collier et que les juifs s'équipent de cloches ou d'une statuette de veau en bois en référence au veau d'or. Néanmoins, ces ordonnances ne sont pas appliquées strictement et semblent avoir été vite abandonnées.

Couleurs

Au IXe siècle à Bagdad, il est prescrit pour la première fois le port d'une marque de couleur pour les non-musulmans — un tissu rouge, bleu ou jaune porté sur l'épaule —, une marque qui se répand par la suite dans l'Occident médiéval pour distinguer les Juifs. Au Maroc et sur plusieurs centaines d'années, les Juifs ne peuvent porter que des vêtements de couleur terne ou noire, des babouches noires encore au début du XXe siècle, et doivent se couvrir la tête d'un châle jaune à partir du XIIe siècle. En Tunisie, le turban des Juifs devait avoir ses extrémités teintées d'une autre couleur au XXe siècle et leur chéchia ne pouvait être que noire (quand celle des musulmans était rouge) aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Comportement

Les Juifs n'ayant pas le droit de posséder ou monter un cheval (monture noble) ou un chameau mais seulement un âne ; il leur est imposé en outre de le monter en amazone, à la manière des femmes à partir du XVe siècle au Maroc particulièrement. Sous les Mamelouks, les non-musulmans ne sont même pas autorisés à monter un âne. En Iran au XIXe siècle, un Juif n'a pas le droit de marcher devant un musulman. À certains moments de l’histoire du Maroc, on exige des Juifs de se déchausser chaque fois qu’ils passent devant une mosquée ou dès lors qu'ils franchissent le quartier juif du mellah. Cet interdit se retrouve en Tunisie où longtemps, les Juifs doivent marcher pieds-nus et plus tard, en dénudant seulement leurs talons en portant des babouches s'arrêtant à mi-course.

Caractère des interdits

La plupart de ces interdictions revêtent cependant un caractère symbolique, ponctuel ou local car la distinction entre musulmans et dhimmis se marque moins dans l'espace tribal qu'en ville, un peu moins aussi dans le monde ottoman que dans les régences du Maghreb. La discrimination réelle et régulière imposée aux dhimmis était principalement de nature fiscale et plutôt que « protégés », les dhimmis étaient des sujets « tributaires ».

Utilisation à des fins polémiques

Selon l'essayiste Bat Ye'or, qui a développé le concept de « dhimmitude» (néologisme inventé par le président chrétien libanais Bachir Gemayel), la « dhimmitude » est « un système juridique et religieux de discriminations envers les non-musulmans qui les réduisit, sauf dans certaines régions d'Europe centrale, à l'état de minorités fossiles, quand ils ne furent pas entièrement éliminés », « enracinée dans le Coran, la Sunna et les biographies du prophète Mahomet [soit] dans le cœur même de l'islam ». Bat Ye'or se spécialise dans l'évocation exclusive des brimades dont les dhimmis auraient été victimes au cours des siècles. Développant également la notion d'« Eurabia », elle estime ainsi que l'Europe « post-judéo-chrétienne » a « abandonné la résistance pour [cette] dhimmitude »

Ses ouvrages polémiques et clivants sur le sujet sont fermement critiqués par un certain nombre de chercheurs pour leur manque de rigueur scientifique et leur côté partisan. Ses positions rencontrent davantage d'échos auprès de polémistes et d'éditorialistes comme David Frum que chez les historiens et spécialistes de l'histoire de l'islam. Mark R. Cohen, un éminent spécialiste de l'histoire des Juifs dans le monde musulman au Moyen Âge, a critiqué ce terme pour son caractère trompeur et islamophobe.

Le travail de Bat Ye'or concentre un type d'arguments polémiques. En ce sens, certains pensent que ses travaux incarnent de manière paradigmatique l'un des deux pôles extrêmes du sujet, celui d'une mythique oppression systématique (l'autre étant celui tout aussi mythique d'une harmonie interconfessionnelle), argumentée notamment par une lecture de textes pré-modernes abordés anachroniquement avec des concepts modernes, ou une assimilation abusive des différentes écoles juridiques islamiques, sans rapport avec la réalité historique.

Bibliographie

Recherche

Ouvrages
  • André Chouraqui, La Condition juridique de l’israélite marocain, éd. Presses du Livre Français, 1950
  • Mark R. Cohen, Sous le Croissant et la Croix. Les Juifs au Moyen Âge. éd. Le Seuil, 2008 (ISBN 978-2020815796)
  • Youssef Courbage et Philippe Fargues, Chrétiens et Juifs dans l'Islam arabe et turc, éd. Fayard, 1992 (ISBN 9782228890687)
  • Alain Ducellier, Chrétiens d'Orient et Islam au Moyen Âge, VIIe – XVe siècle, éd. Armand Colin, 1997 (ISBN 2200014481)
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  • Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, éd. Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2226248510)
  • (en) Heribert Busse, Islam, Judaism and Christianity : Theological and Historical Affiliations, éd. Markus Wiener Publishers, 1998 (ISBN 9781558761445)
  • (en) Joshua Castellino et Kathleen A. Cavanaugh, Minority Rights in the Middle East, éd. Oxford University Press, 2013 (ISBN 9780199679492)
  • (en) Daniel C. Dennett, Conversion and the Pool-Tax in Early Islam, éd. Harvard University Press, 1950
  • (en) Anver M. Emon, Religious Pluralism and Islamic Law : Dhimmis and Others in the Empire of Law, éd. Oxford University Press, 2012
  • (en) Milka Levy-Rubin, Non-Muslims in the early Islamic Empire : from surrender to coexistence, éd. Cambridge University Press, 2011
  • (en) Daniel Tsadik, Between Foreigners and Shi'is: Nineteenth-century Iran and Its Jewish Minority, éd. Princeton University Press, 2007 (ISBN 9780804754583)
  • Françoise Micheau, article Dhimma, Dhimmi, in Dictionnaire du Coran, Mohammad Ali Ammir-Moezzi (dir), éd. Robert Laffont, 2007, pp. 215, 216
Articles
  • Néophytos Edelby, « L'autonomie législative des chrétiens en terre d'Islam », in Archives d'histoire du droit oriental, tome 5, 1950-1951, p. 307-351
  • Françoise Micheau, « Dhimma, Dhimmi », dans Mohammad Ali Ammir-Moezzi (dir), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, , p. 216
  • (en) Andrew G. Bostom, Jihad Conquests and the Impositions of Dhimmitude - A Survey in The Legacy of Jihad: Islamic Holy War and the Fate of Non-Muslims, éd Prometheus Book, 2005
  • (en) Anver M. Emon, « Religious Minorities and Islamic Law : Accommodation and the Limits of Tolerance », in Mark S. Ellis, Anver M. Emon et Benjamin Glahn (éds.), Islamic Law and International Human Rights Law, éd. Oxford University Press, p. 323-343
  • (en) Yohanan Friedmann, « Classification of Unbelievers in Sunni Muslim Law and Tradition », in Jerusalem Studies in Arabic and Islam no 22, 1998, p. 163–195
  • (en) M. Levy-Rubin, « Shurut `Umar and its alternatives: the legal debate on the status of the dhimmis », in Jerusalem Studies in Arabic and Islam no 30, 2005, p. 170-206

Essais

  • Nathan Weinstock, Histoire de chiens : La dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien, éd. Mille et une nuits, 2004 (ISBN 978-2842058432)

Articles connexes

  • Gens du Livre
  • Constitution de Médine
  • Pacte de Najran
  • Pacte d'Omar
  • Ashtiname
  • Djizya
  • Histoire des Juifs en terre d'islam


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